Le testament nucléaire de l’administration Biden

Quatre ans seulement après la dernière Directive présidentielle de planification nucléaire, une nouvelle version de celle-ci a été adoptée par la Maison-Blanche en mars 2024. Il s’agit autant d’une traduction en principes de planification de la Nuclear Posture Review de l’administration Biden que de la prise en compte d’une évolution défavorable du paysage nucléaire, trois éléments ayant changé la donne du point de vue de Washington au cours des quatre dernières années : la poursuite déterminée du programme nord-coréen, au point qu’il ne soit sans doute plus crédible de parer à cette menace par les seules défenses antimissiles ; la montée en puissance nucléaire de la Chine ainsi que la diversification de son arsenal ; et la crainte d’un emploi de l’arme nucléaire par la Russie.

Le court rapport non classifié présenté au Congrès – c’est la troisième fois que cette procédure est adoptée, le premier rapport ayant été publié en 2013 et le second en 2020 pour une directive d’avril 2019  – et rendu public le 15 novembre permet sinon de lever le voile sur cette Directive, du moins de confirmer que son ambition est de dissuader simultanément, « en temps de paix, de crise et de conflit », trois adversaires nucléaires potentiels identifiés, la Russie, la Chine et la Corée du NordReport on the Nuclear Employment Strategy of the United States, Submitted pursuant to 491 (a) of TItle 10, US Code, 7 novembre 2024. Ce document est légèrement plus court (6 pages) que celui de 2020 (11 pages). .

Les responsables américains insistent généralement sur la continuité qui existe dans la politique nucléaire américaine. Ceci est sans doute toujours vrai, mais l’on note toutefois une évolution significative en une décennie : en 2013, les deux principales menaces identifiées étaient celles du terrorisme nucléaire et de la prolifération ; en 2024, celles-ci passent au second plan.

Parmi les éléments nouveaux annoncés, on note l’insistance sur « l’intégration de capacités non-nucléaires dans la planification nucléaire américaine là où des capacités non-nucléaires peuvent soutenir la mission de dissuasion nucléaire », et les passages qui concernent la maîtrise de l’escalade, à la fois en termes de principes (« insistant sur l’importance de gérer l’escalade en réponse à une attaque stratégique limitée ») et en termes de mise en œuvre : « La Directive exige qu’à tous les plans de riposte à une attaque nucléaire limitée ou à une attaque non-nucléaire significative, aux conséquences majeures, soient associés un concept de gestion de l’escalade à l’avantage des Etats-Unis [favorably managing escalation], y compris en réduisant la probabilité d’une attaque nucléaire de grande ampleur contre les Etats-Unis ou ses alliés et partenaires ».

On sait, par ailleurs, à quel point la notion de « limitation des dommages » est centrale dans la stratégie nucléaire contemporaine des Etats-Unis. On peut donc supposer que face à une menace extrême, tous les moyens, y compris non-nucléaires (frappes à longue portée, défenses antimissiles…) seraient mobilisés pour réduire les arsenaux nucléaires adverses.

Ce testament nucléaire de l’administration Biden témoigne du réalisme de l’équipe sortante : on se souvient en effet que lorsqu’il avait quitté la vice-présidence en janvier 2017, M. Biden avait fait savoir qu’il souhaitait significativement réduire le rôle des armes nucléaires dans la politique de défense. 

L’administration Trump aura l’occasion de mettre sa marque sur la politique nucléaire américaine dès février 2026, si le traité New Start n’est pas une nouvelle fois prolongé.

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Le testament nucléaire de l’administration Biden

Bruno Tertrais

Bulletin n°125, novembre 2024



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